Les figures de
l'itinérance se transforment continuellement. À
toutes les époques, on retrouve des formes
intégrées d'indigence et d'autres, qui menacent
l'ordre établi. Les nouvelles toxicomanies, qui
sont en essor dans les métropoles de l'Occident
depuis le début des années quatre-vingt, ont
contribué à modifier une autre fois les visages
de l'itinérance. Certains itinéraires de
toxicomanies des populations marginales
constituent une « mobilité
dangereuse » qui affecte la vie des
quartiers et renforce les dynamiques de
l'exclusion. Dans la recherche de solutions aux
irritants urbains, il importe de penser à des
alternatives qui impliquent l'ensemble des
acteurs sociaux, dont les habitants et les
personnes marginales.
Toxicomanie et itinérance :
un sujet usé et abusé
Le
thème de la toxicomanie et de l'itinérance a
été maintes et maintes fois traité (Mercier,
1996). De façon générale, les chercheurs
s'entendent pour dire que les problèmes reliés
à l'usage et à l'abus de drogues et d'alcool
concernent une partie seulement des personnes
itinérantes. Les pourcentages varient beaucoup
d'une étude à l'autre, de 3 à 75 %, selon les
profils des usagers, les types de problèmes
identifiés, les substances et les modes de
consommation. Les proportions augmentent en
général en fonction de la précarité des
conditions d'existence. Par exemple, parmi les
sans-abri à Montréal, Louise Fournier a
constaté « des prévalences de l'ordre de
74,2 % pour les problèmes de surconsommation
d'alcool et de drogues » (ibid., p.
166).
On
parle également de la toxicomanie comme une
cause ou une conséquence de l'itinérance. Dans
certains cas, c'est la toxicomanie qui
précipiterait la personne vers la rue, dans
d'autres, c'est le fait de se retrouver à la rue
qui entraînerait la personne vers la bouteille
ou les drogues. Peu importe, dans un cas comme
dans l'autre, la consommation de psychotropes
devient souvent l'ultime refuge de la personne.
Les impératifs de la consommation constituent
autant de points de repères qui organisent au
quotidien l'univers des personnes toxicomanes. Il
suffit cependant qu'un seul élément bascule
pour que s'écroule le fragile équilibre de la
vie construite autour de la consommation de
drogue ou d'alcool.
Par
ailleurs, il semble que le thème de la
« maladie mentale » a supplanté
aujourd'hui celui de l'alcoolisme et de la
toxicomanie comme problème principal associé à
l'itinérance (ibid.,
p. 187188). Les itinérants avec des
problèmes de consommation constitueraient une
sous-population dont la condition est la plus
détériorée parmi l'ensemble de la population
itinérante. Le passage de la
« toxicomanie » à la « maladie
mentale » en ce qui concerne l'étiquetage
global des personnes itinérantes n'est pas,
selon moi, sans conséquence sur les
représentations véhiculées autour de
l'itinérance. En effet, il y a toujours un
côté fatidique à la « maladie
mentale ». N'importe qui peut en être
affecté. De plus, elle frappe souvent
sournoisement. Par contre, quand on parle
d'alcoolisme ou de toxicomanie, le côté
volontaire de la consommation est toujours
présent dans les esprits. La responsabilité de
l'acte de consommer reposerait sur les épaules
de la personne toxicomane. Parce qu'elle choisit
de consommer, cette dernière devrait aussi en
assumer les conséquences.
Appliquée
au monde de l'itinérance, la distinction entre
la fatalité de la maladie mentale et la part de
responsabilité attachée à la toxicomanie
affecte, entre autres, la perception que la
population générale peut avoir des formes
d'assistance aux indigents. Si l'image du
« pauvre malade mental » attire les
sympathies et les compassions, celle du
toxicomane qui a sombré dans la déchéance
sociale à cause de son style de vie est plus
souvent une source d'irritation et d'antipathie.
Aux yeux de certains groupes de citoyens, il y
aurait donc des itinérants qui méritent d'être
aidés et d'autres, moins.
Une bonne et une mauvaise
itinérance : un retour dans l'histoire
Dans
son beau livre sur l'Histoire du vagabondage,
José Cubero montre comment s'est enracinée dans
le regard social la distinction entre les
« vrais pauvres » et les autres qui
seraient « inutiles au monde ».
« Le Moyen Âge, explique-t-il, héritier
de l'Antiquité chrétienne, avait reconnu la
dignité du pauvre, image du Christ souffrant,
mais aussi son utilité par son rôle
d'intercesseur en faveur du riche. » Par
contre, « lorsqu'une `mobilité
déréglée' semble remettre en cause le rigide
équilibre des hiérarchies sociales, le vagabond
qui émerge se heurte au regard particulièrement
sévère du pouvoir et de son bras
justicier. » Le mendiant valide et errant
« devient dans le meilleur des cas, un
`inutile' qu'ordonnances et édits royaux ou
initiatives municipales s'efforcent de chasser ou
de mettre au travail » (Cubero, 1998, p.
83).
Cette
« mobilité déréglée » dont parle
Cubero survient dans des périodes de crise
sociale, lors, par exemple, des famines ou des
grandes épidémies, alors qu'un nombre
incontrôlable de nécessiteux se retrouvent dans
les villes et menacent l'ordre établi. Ou
encore, « lorsque la mobilité personnelle
et permanente devient un véritable mode de
vie », le
vagabond « brise
l'ordre social et devient le porteur d'une
inquiétante altérité ». Il devient alors un «sans aveu»
dépourvu d'appartenance communautaire » (ibid.,
p. 47).
Si
la mobilité est « déréglée » à
partir d'un regard extérieur, de l'intérieur
elle est en grande partie
« réglée » autour des impératifs
de la reproduction quotidienne.
Mobilité dangereuse et nouvelles
toxicomanies
Pour
ma part, j'utilise la notion de « mobilité
dangereuse » pour parler de certains
rapports qui peuvent s'établir entre
l'itinérance, la toxicomanie et la vie de
quartier. Par cette expression, je ne veux pas
dire que l'itinérance est dangereuse, même si
elle peut le devenir, mais je parle strictement
de la mobilité qui est générée autour des
nouvelles toxicomanies et qui s'enracine dans
certains quartiers des grandes villes. Cette
mobilité est dangereuse avant tout pour ceux et
celles qui la vivent dans certaines conditions de
précarité, mais aussi par extension pour la
population de ces quartiers.
Ma
communication porte, en fait, essentiellement sur
la nature et les conséquences de cette mobilité
construite autour des nouvelles toxicomanies.
Comme chercheur, je me suis penché surtout sur
les « itinéraires de toxicomanies »
dans les milieux marginaux (Bibeau et Perreault,
1995). Ces itinéraires engendrent dans la ville
de nouvelles formes d'errance. La croisée de ces
itinéraires dans le tissu urbain constitue par
moments, dans des endroits comme les piqueries,
des carrefours où le monde de la rue et de la
maison s'interpénètrent. Dans ces milieux
précaires, la ligne de partage entre
l'itinérance et les itinéraires de toxicomanies
n'est pas toujours facile à délimiter.
Récession économique, quartiers de
désoeuvrés et activités de drogues
Les
nouvelles toxicomanies dont je parle apparaissent
dans les métropoles de l'Occident au tout début
des années quatre-vingt. Nous assistons alors à
la démocratisation des drogues dures. En
Amérique du Nord, la cocaïne, qui était
autrefois réservée à une certaine élite,
devient peu à peu une drogue de rue. Vers le
milieu de cette décennie, la vente et la
consommation du crack, un dérivé très
puissant et à bon marché de la cocaïne
connaît un boum fulgurant dans les ghettos
américains. À Montréal, le phénomène du crack
ne connaîtra pas le même engouement. Par
contre, l'intérêt pour des modes de
consommation plus expéditifs et plus puissants,
tel que l'injection, s'accroît de plus en plus
parmi les groupes les plus marginalisés de la
population. Au lieu des crack house, ce
sont les shooting galleries qui émergent
un peu partout, et en particulier dans les
quartiers ou les secteurs les plus défavorisés
de la ville.
Il
est important de se replacer dans le contexte
social et économique de l'époque. L'année 1982
est par ailleurs fréquemment cité comme le
début de la période de la récession. Les
anciens quartiers d'ouvriers deviennent des
quartiers de désoeuvrés. Les coûts des loyers
sont en progression alors que le cadre bâti des
immeubles se détériore. Les ouvriers ayant
déserté les quartiers populaires, plusieurs
logements deviennent vacants et sont laissés à
l'abandon par les propriétaires.
Pendant
ce temps, dans le tiers monde, la production de
drogues touche des sommets jamais atteints
auparavant. Dans ces pays, les
« narcodollars » servent en grande
partie à subventionner les guérillas locales.
De puissants cartels se forment autour de
l'industrie de la drogue. Les effets de l'offre
et de la concurrence entraînent une chute
dramatique des prix. Cette drogue est par
ailleurs principalement destinée pour les
marchés des villes occidentales.
À
cette époque, la drogue devient le principal
créneau d'activités des pègres locales.
Plusieurs individus ont flairé l'occasion
d'affaires et ce sont convertis au trafic de la
drogue. La démocratisation de la cocaïne dans
les milieux marginaux a entraîné une plus
grande ouverture des réseaux de distribution.
L'attrait du gain facile, en ces temps
difficiles, a fait que plusieurs individus se
sont improvisés revendeurs pushers
en pensant trouver la richesse. Pour la
majorité d'entre eux, le désenchantement a
été grand. Plusieurs ont été piégés par la
drogue elle-même, en devenant d'abord leur
principal client et ensuite, comme beaucoup
d'autres, un client « en manque ».
Injection de drogue, prostitution de rue
et sida : les nouveaux visages de la
pauvreté
Parallèlement
à l'explosion de l'économie clandestine de la
drogue dans les milieux marginaux, nous assistons
dans les quartiers défavorisés à l'émergence
de la prostitution de rue qui était autrefois
principalement concentrée dans les secteurs
chauds du centre-ville. Pour pouvoir consommer,
il faut d'abord en avoir les moyens. La
prostitution de rue s'avéra dans certains
milieux, une des principales façons de financer
la consommation de drogue. Lors d'une recherche,
dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve à
Montréal, nous avions évalué à trois le
nombre de prostituées nécessaires pour assurer
le roulement d'une piquerie (Bibeau et Perreault,
1995).
La
fin des années quatre-vingt correspond à la
période où l'injection devient dans les milieux
marginaux québécois la voie royale par laquelle
on consomme les drogues dures. C'est aussi la
période où la santé publique commence à
prendre conscience qu'il existe une corrélation
entre le sida et les milieux précaires de vie.
Après le milieu gay, le milieu des injecteurs de
drogue devient une des principales cibles
d'intervention pour la prévention du sida. Au
début des années quatre-vingt-dix, les premiers
sites d'échange de seringues sont implantés au
centre-ville de Montréal (CACTUS) et de Québec
(POINTS de REPÈRE) d'abord sous la forme de
projet-pilote.
Avec
l'émergence de l'injection de drogue, de la
prostitution de rue et du sida se profilent de
nouveaux visages de la pauvreté et de
l'itinérance.
Points de repères de la consommation et
vecteurs de mobilité
Règle
générale, l'organisation de la consommation de
drogue ou d'alcool implique un certain nombre de
trajets de la part de l'usager à moins que ce
dernier ne réussisse à se faire livrer tout ce
dont il a besoin. Ces trajets peuvent avoir lieu
sur un petit territoire un tronçon de
rue, un quadrilatère ou bien ils peuvent
se dérouler sur plusieurs quartiers. Lorsqu'il
advient d'évaluer l'impact de cette mobilité
sur les milieux de vie, il importe de distinguer,
pour chaque situation, les moyens de déplacement
ainsi que la capacité et la nécessité de se
déplacer de la personne. Il est certain que le
promeneur qui se rend à pied de sa voiture à
une terrasse ne vit pas du tout la même chose
que le cocaïnomane « en manque » qui
court entre la rue, le site d'échange de
seringues et la piquerie pour aller au plus vite
s'injecter sa dose.
La
mobilité des usagers de drogue s'organise dans
l'espace-temps autour de trois étapes ou, si
l'on préfère, autour de trois principaux points
de repère, soit (1) le lieu de résidence (s'il
y en a un, mais cela peut être aussi un refuge
quelconque), (2) le financement de la
consommation et (3) les indispensables de la
dynamique de consommation que sont le lieu, la
substance et tout le matériel nécessaire
(seringue, eau, cuillère, etc.).
Les
itinéraires de la consommation varient selon les
personnes, les moments du jour, du mois et de
l'année. Dans le sillage de ces parcours divers
se créent différents rapports avec les
quartiers ainsi que différents types de
problèmes.
La
mobilité des usagers ainsi que les rapports que
ces derniers établissent avec les lieux et les
autres personnes participent de la mouvance
constitutive des quartiers. Aussi, les conditions
dans lesquelles se réalisent les itinéraires de
toxicomanies se reflètent sur la vie de ces
quartiers. Plus la mobilité est dangereuse au
niveau des risques personnels, plus les mises en
situation de risque au niveau de la population
ordinaire augmentent.
Or,
plus la nécessité de se déplacer est grande
(ou que l'accès aux substances et à du
matériel sécuritaire est limité) et que la
capacité réelle de déplacement est restreinte,
plus les risques personnels liés à la
consommation augmentent. Les risques croissent
également de pair avec le degré de dépendance
aux autres et l'instabilité des milieux. La
notion de distance est ici relative : il ne
s'agit pas du nombre de kilomètres parcourus qui
compte mais des conditions dans lesquelles se
fait ou non la mobilité. À noter que c'est
lorsque cette « mobilité
dangereuse » s'immobilise et qu'elle
grossit qu'elle devient plus menaçante pour la
population des quartiers.
Ancrages des toxicomanies dans les
quartiers
Par
ailleurs, en prenant l'exemple des milieux
marginaux, nous pouvons distinguer trois
principaux points d'ancrage des itinéraires de
toxicomanies dans les quartiers : (1) les
marchés ; (2) les paradigmes (modèles et
pratiques) de consommation ; (3) les sources
de financement (et de subsistance). L'exemple des
milieux marginaux est révélateur dans le sens
où il est une loupe grossissante de ce qui est
commun, à divers degrés, à tous les milieux
d'usagers. Il nous oblige toutefois à inclure
les modes de financement de la consommation comme
une étape incontournable des parcours de
toxicomanie, alors que ceux-ci sont plus ou moins
déterminants en contexte de non-précarité
financière. Il nous force à distinguer d'une
part, les types de déviance qui sont associés
à l'institution des marchés et des activités
de drogue sur le territoire, et, d'autre part,
les types de déviance qui sont associés aux
pratiques de consommation et aux activités de
financement. Or, si les activités criminelles de
drogues constituent littéralement une
« bombe » prête à exploser en tout
temps qui menace la population, force est de
constater que les principaux irritants urbains
liés à la toxicomanie dans les quartiers
concernent davantage les pratiques et les modes
de financement des individus marginaux.
Il
est important d'être conscient que chaque point
d'ancrage des toxicomanies dans les milieux
génère des formes différentes de marginalité
qui peuvent ne pas avoir de véritables
connexions entre elles, autres que les
impératifs de la consommation.
Le quartier : espace public commun
et privatisation des pratiques
Mais
à quoi fait-on allusion lorsqu'on parle de
« vie de quartier » ? Un
quartier est constitué physiquement de rues, de
places, de parcs, d'immeubles, de commerces et
plus encore. Mais un quartier c'est, d'abord et
avant tout, un espace géographique où
différents groupes de population cohabitent,
travaillent, consomment ou ne font que passer. La
vie de quartier constitue, en quelque sorte, la
face la plus visible de la vie en communauté.
Les quartiers d'aujourd'hui ont pris peu à peu
la place des paroisses d'autrefois dans les
représentations populaires. Le passage de la
paroisse au quartier est par contre synonyme
d'une certaine individualisation entre les
habitants. On connaît de moins en moins ses
voisins. La référence au quartier est plus
souvent qu'autrement symbolique. Pour plusieurs
personnes la connaissance du quartier se limite
à quelques rues et à quelques endroits très
spécifiques.
Si
le quartier constitue théoriquement un espace
public commun, dans les faits, chaque usager du
quartier développe avec celui-ci un rapport
privé. « Du fait de son usage quotidien,
le quartier peut être considéré comme la
privatisation progressive de l'espace public.
C'est un dispositif pratique dont la fonction est
d'assurer une solution de continuité entre ce
qui est le plus intime (l'espace privé du
logement) et ce qui est le plus inconnu
(l'ensemble de la ville ou même, par extension,
le reste du monde) ». Le quartier est en
quelque sorte « un accroissement de
l'habitacle ». Il offre à chaque usager la
possibilité « d'insinuer dans la ville une
dissémination de trajectoires greffées sur la
sphère privée » (Mayol, 1980, p. 19).
Il
existe, il va s'en dire, autant de façon de
vivre ce lien privé avec le quartier qu'il y a
d'usagers. Les rapports d'un commerçant avec un
quartier ne sont pas, par exemple, les mêmes que
ceux qu'établissent les personnes itinérantes
ou ses habitants. La privatisation de l'espace
public a une signification différente pour
chacun de ces usagers. Or, les irritants urbains
émergent surtout lorsque les pratiques privées
d'un groupe empiètent sur celles des autres.
Aussi longtemps que ces groupes vivent dans
l'indifférence ou qu'ils s'ignorent l'un et
l'autre, il n'y a pas, en théorie, de
véritables problèmes.
Le
hic est que certains groupes de personnes sont a
priori exclus de la réalité intrinsèque
des quartiers. Ils sont vus comme une sorte de
« gangrène sociale » que d'autres
groupes souhaitent carrément éliminer du
paysage urbain. Ces indésirables constituent
dans les quartiers en quelque sorte une
« étrangeté dérangeante ». La
figure de cet étranger,
parmi nous, dérange,
d'autant plus, lorsqu'elle est jeune et qu'elle a
choisi de se marginaliser du système dominant.
La
visibilité et la précarité de la
« mobilité dangereuse » constituée
autour de la toxicomanie accentuent davantage le
processus d'exclusion de certains groupes de la
vie des quartiers.
L'importance d'une approche globale et
non ségrégationniste
La
réponse la plus simple et la plus souvent
envisagée pour enrayer les irritants urbains est
l'élimination de la source du problème. Pour ce
faire, on s'attaque d'habitude directement aux
groupes dont les pratiques sont perçues comme
nuisibles. Une approche strictement répressive
dispose par contre de très peu de moyens mis à
part les sanctions légales et le déplacement
des indésirables vers d'autres secteurs. Avec
l'un ou l'autre de ces moyens, les problèmes ne
font que s'accroître.
D'autres
croient qu'en aménageant les espaces urbains et
en revitalisant les quartiers, ils trouveront une
partie de la solution aux irritants urbains.
Selon les tenants d'une telle approche, en
n'ayant plus de lieux propres auxquels ils
peuvent s'identifier et où aller, les
populations marginales disparaîtront des
quartiers. Or, dans les faits, ces populations
seront tout simplement plus isolées et
repoussées vers d'autres zones de précarité.
Un
développement urbain conçu essentiellement dans
l'intérêt des promoteurs et qui va à
l'encontre des populations marginales s'avère ni
plus ni moins qu'une autre forme de contrôle
social qui s'inscrit dans l'esprit de la
répression. Aussi, il est important que les
usagers, les groupes marginaux et les habitants
puissent avoir leur mot à dire dans toutes ces
formes de « projet de
revitalisation » qui compromettent leur
présence dans les quartiers. D'où l'importance
d'avoir une politique d'intervention non
ségrégationniste qui inclut tous les groupes de
citoyens.
Citoyens de la rue et lieu privé de
consommation
Un
des plus grands défis à relever afin de
résorber les problèmes engendrés par la
« mobilité dangereuse » de la
toxicomanie est la question des lieux de
consommation. En effet, les aspects visibles de
la consommation constituent une des plus grandes
sources d'irritation au niveau des quartiers,
tandis que l'absence de lieux sécuritaires de
consommation est un des principaux facteurs de
risque pour les usagers de drogue. Or, pour un
bon nombre de ces usagers, le monde de la rue
représente leur seul véritable espace privé
alors que la désintégration urbaine constitue
leur ultime possibilité de refuge. En ayant des
lieux propres de consommation, autres que la rue,
il est certain qu'une partie des irritants
urbains liés à la mobilité dangereuse de la
toxicomanie serait réglée. En ce sens, des
initiatives telles que le « logement
social » s'avèrent des pistes de solution
qui doivent être développées. Il faut éviter,
par contre, que de telles mesures contribuent à
isoler les personnes marginales de leurs réseaux
d'identification habituels, ce qui, en bout de
ligne, risque de leur causer plus de tort que de
bien.
Enfin,
le défi commun consiste à repenser la dynamique
de la vie de quartier sur l'horizon de la
reconnaissance et du respect des pratiques
privées de l'ensemble des groupes incluant
celles des citoyens de la rue.
Références citées
Bibeau, Gilles et Marc Perreault. 1995. Dérives
montréalaises à travers des itinéraires de
toxicomanies dans le quartier
Hochelaga-Maisonneuve. Montréal :
Boréal.
Cubero, José. 1998. Histoire du vagabondage
du moyen âge à nos jours. Paris :
Imago.
Mayol, Pierre. 1980. « Habiter » In L'invention
du quotidien. 2. Habiter, cuisiner. Sous la
dir. de Giard, L. et Mayol, P. Paris :
Union générale d'éditions, p. 11146.
Mercier, Céline. 1996.
« Toxicomanie » In Sans domicile
fixe. Au delà du stéréotype. Sous la dir.
de Louise Fournier et Céline Mercier,
Québec : Méridien, p. 163200.
|